J'avais
déjà évoqué la dernière publication du fils du polémiste et
patron de presse Philippe Tesson, Sur
les chemins noirs. Je
comptais en rester là, mais voilà le livre s'ouvre sur une carte de
France de l'hyper-ruralité mise en miroir avec celle de son
itinéraire
à pied.
Le second traçant une diagonale à travers le pays suivant les
territoires de l'hyper-là. Dans le rapport établit en 2015 par le
sénateur de la Lozère, le
rural profond s’appelle donc désormais l’hyper-rural. Il
couvre 26 % du territoire et accueille 5,4 % de la population.
Il est caractérisé « par le vieillissement, l’enclavement,
les faibles ressources financières, le manque d’équipements
et de services, le manque de perspectives, la difficulté à faire
aboutir l’initiative publique ou privée, l’éloignement et
l’isolement sous toutes leurs formes ».
C'est dans ce cadre que le sieur Tesson, géographe khâgneux aux
genoux homonymiques suite à sa chute d'un toit chamoniard alors
qu'il séjournait chez le sieur Rufin, autre apôtre de la diagonale
pédestre française, pour
peu qu'on lise les cartes,
compte s'en aller par
les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et
les pistes à ornières reliant les villages abandonnés. On
comprend vite que ses désirs et le cadre du rapport ne correspondent
pas, que tout géographe qu'il est, il a mal lu la carte, comme un
Napoléon en Russie, et qu'il va être déçu, et qu'il va encore
nous faire rire, parce que son itinéraire passe par chez nous, et si
Dupond(t) était là il dirait même plus, il passe devant nos deux
librairies, à Oraison et à Lurs.
Quittant
le Mercantour où il croise un
héros à la Giono
(est-ce un Panturle, un Langlois, un Angelo Pardi ou bien un
Clef-des-coeurs) il arrive dans nos contrées par le mauve
plateau de Valensole, un 4 septembre, où il trouve une terre, lavée
de produits chimiques,
pour la parfumerie et le miel, dans un
silence de parking,
sans un seul vrombissement
dans l'air, la lutte contre les insectes ayant
été
remportée,
en ce début septembre où la lavande a été cueillie, que les
abeilles ont à faire par ailleurs et qu'il faut bien deux ou trois
d'entre-elles pour aboutir au miel. Glissant du plateau, il bascule
dans l'enfer à Oraison. Passons le jeux de mots laid, Oraison,
funèbre endroit,
qui tient de l'ignorance étymologique et des jambes lourdes après
des jours de marche, passons le substantif agglomération
pour définir une simple bourgade, passons l'utilisation du concept
anthropologique de non-lieu que son créateur Marc Augé décrit
comme un
espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme
relationnel, ni comme historique qui
n'a de raison d'être, ici, que dans sa marche pressée qui lui fait
parcourir ses chemins
noirs
tel le TGV qu'il prend pour aller de Paris à Nice pour commencer son
périple,
mais
arrêtons-nous
à l'emploi du terme rocades
au pluriel pour désigner la départementale et les mauvaises voies
qui traversent le centre-ville quand on sait qu'au singulier, c'est
l'arlésienne locale. Suit un long pensum plein de ces clichés sur
une ruralité aux quatre visages avant qu'il ne quitte Oraison
par un pont sur la Durance,
le pont de la Brillanne, pour monter par
les oliviers
à Lurs. Passons quelques considérations sur l'alcoolisme pour
s'attarder sur celles dévalorisant le village : paysage
qui
se borne à être ce qu'il est, village-musée,
pour lecteurs de Pagnol.
Un paysage pollué par le vrombissement des activités des rives de
la Durance (confer le non-vrombissement des abeilles sur le plateau),
à la vue gâchée par les hangars des paysans et des autoroutes,
apposé au village-musée
où
il ne voit pas
un seul paysan.
À quoi reconnaît-il un paysan dans une commune aux productions
essentiellement agricoles ? À son tracteur garé sur la place,
son béret, sa gitane maïs ? Quant au village pagnolesque, mort
dès que septembre renvoie les typographes, résidents secondaires et
touristes à leurs préoccupations, il propose une bien piètre
muséographie et même si, sous l'égide municipale on voudrait
accéder à cette labellisation peu enviée, il est loin d'y
parvenir. À peine arrivé dans les anciennes Basses-alpes, le
dénommé Tesson ne cite plus Giono et encore moins dans ce lieu qui doit
beaucoup sa réédification à Giono, qui fait face à la montagne de
Giono et où se déroulent les
rencontres de Lure créées,
entre autres, par Giono. Giono ? L'anti-pagnol justement ! Après avoir conclu rapidement
que les
paysans avaient changé de métier,
passant par Ganagobie, où il assiste à une table ronde
interreligieuse dont il ne retient que la marque des armes des gardes
du corps d'un rabbin présent (en fait, Richard Prasquier, ancien président du C. R. I.
F. dont on se doute qu'il bénéficie d'une garde rapprochée suite aux attentats de janvier), la présence de l'archevêque émérite d'Alger, Mgr Henri Teissier, omettant de noter celle de l’imam de Villeurbane,
Azzedine Gaci et concluant d'un mauvais départ du dialogue
interreligieux, sans autre forme de procès, alors qu'il y aurait à
développer pour le fils de Philippe Tesson, il aboutit à Notre-Dame
de Lure où, Lucien, l'ermite, qui fait du Tesson sans le savoir, est
en train de lire le
récit d'un type qui s'est enfermé dans une cabane au bord du
Baïkal, lac de Sibérie peuplé d'ours et de touristes fortunés, pour lecteurs de Sylvain Tesson.
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