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samedi 12 novembre 2016

L'homme qui a vu la rocade qui a vu l'ours...

J'avais déjà évoqué la dernière publication du fils du polémiste et patron de presse Philippe Tesson, Sur les chemins noirs. Je comptais en rester là, mais voilà le livre s'ouvre sur une carte de France de l'hyper-ruralité mise en miroir avec celle de son itinéraire à pied. Le second traçant une diagonale à travers le pays suivant les territoires de l'hyper-là. Dans le rapport établit en 2015 par le sénateur de la Lozère, le rural profond s’appelle donc désormais l’hyper-rural. Il couvre 26 % du territoire et accueille 5,4 % de la population. Il est caractérisé « par le vieillissement, l’enclavement, les faibles ressources financières, le manque d’équipements et de services, le manque de perspectives, la difficulté à faire aboutir l’initiative publique ou privée, l’éloignement et l’isolement sous toutes leurs formes ». C'est dans ce cadre que le sieur Tesson, géographe khâgneux aux genoux homonymiques suite à sa chute d'un toit chamoniard alors qu'il séjournait chez le sieur Rufin, autre apôtre de la diagonale pédestre française, pour peu qu'on lise les cartes, compte s'en aller par les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés. On comprend vite que ses désirs et le cadre du rapport ne correspondent pas, que tout géographe qu'il est, il a mal lu la carte, comme un Napoléon en Russie, et qu'il va être déçu, et qu'il va encore nous faire rire, parce que son itinéraire passe par chez nous, et si Dupond(t) était là il dirait même plus, il passe devant nos deux librairies, à Oraison et à Lurs.
Quittant le Mercantour où il croise un héros à la Giono (est-ce un Panturle, un Langlois, un Angelo Pardi ou bien un Clef-des-coeurs) il arrive dans nos contrées par le mauve plateau de Valensole, un 4 septembre, où il trouve une terre, lavée de produits chimiques, pour la parfumerie et le miel, dans un silence de parking, sans un seul vrombissement dans l'air, la lutte contre les insectes ayant été remportée, en ce début septembre où la lavande a été cueillie, que les abeilles ont à faire par ailleurs et qu'il faut bien deux ou trois d'entre-elles pour aboutir au miel. Glissant du plateau, il bascule dans l'enfer à Oraison. Passons le jeux de mots laid, Oraison, funèbre endroit, qui tient de l'ignorance étymologique et des jambes lourdes après des jours de marche, passons le substantif agglomération pour définir une simple bourgade, passons l'utilisation du concept anthropologique de non-lieu que son créateur Marc Augé décrit comme un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique qui n'a de raison d'être, ici, que dans sa marche pressée qui lui fait parcourir ses chemins noirs tel le TGV qu'il prend pour aller de Paris à Nice pour commencer son périple, mais arrêtons-nous à l'emploi du terme rocades au pluriel pour désigner la départementale et les mauvaises voies qui traversent le centre-ville quand on sait qu'au singulier, c'est l'arlésienne locale. Suit un long pensum plein de ces clichés sur une ruralité aux quatre visages avant qu'il ne quitte Oraison par un pont sur la Durance, le pont de la Brillanne, pour monter par les oliviers à Lurs. Passons quelques considérations sur l'alcoolisme pour s'attarder sur celles dévalorisant le village : paysage qui se borne à être ce qu'il est, village-musée, pour lecteurs de Pagnol. Un paysage pollué par le vrombissement des activités des rives de la Durance (confer le non-vrombissement des abeilles sur le plateau), à la vue gâchée par les hangars des paysans et des autoroutes, apposé au village-musée où il ne voit pas un seul paysan. À quoi reconnaît-il un paysan dans une commune aux productions essentiellement agricoles ? À son tracteur garé sur la place, son béret, sa gitane maïs ? Quant au village pagnolesque, mort dès que septembre renvoie les typographes, résidents secondaires et touristes à leurs préoccupations, il propose une bien piètre muséographie et même si, sous l'égide municipale on voudrait accéder à cette labellisation peu enviée, il est loin d'y parvenir. À peine arrivé dans les anciennes Basses-alpes, le dénommé Tesson ne cite plus Giono et encore moins dans ce lieu qui doit beaucoup sa réédification à Giono, qui fait face à la montagne de Giono et où se déroulent les rencontres de Lure créées, entre autres, par Giono. Giono ? L'anti-pagnol justement ! Après avoir conclu rapidement que les paysans avaient changé de métier, passant par Ganagobie, où il assiste à une table ronde interreligieuse dont il ne retient que la marque des armes des gardes du corps d'un rabbin présent  (en fait, Richard Prasquier, ancien président du C. R. I. F. dont on se doute qu'il bénéficie d'une garde rapprochée suite aux attentats de janvier), la présence de l'archevêque émérite d'Alger, Mgr Henri Teissier, omettant de noter celle de l’imam de Villeurbane, Azzedine Gaci et concluant d'un mauvais départ du dialogue interreligieux, sans autre forme de procès, alors qu'il y aurait à développer pour le fils de Philippe Tesson, il aboutit à Notre-Dame de Lure où, Lucien, l'ermite, qui fait du Tesson sans le savoir, est en train de lire le récit d'un type qui s'est enfermé dans une cabane au bord du Baïkal, lac de Sibérie peuplé d'ours et de touristes fortunés, pour lecteurs de Sylvain Tesson.

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